Le dialogue avec les maîtres coraniques - Comment convaincre du bien-fondé de la scolarisation
Introduction
La scolarisation des enfants est un enjeu majeur pour le
développement et l'avenir des pays d'Afrique subsaharienne. Pourtant, de
nombreux parents confient encore leurs enfants aux maîtres coraniques
traditionnels, appelés marabouts, pour un apprentissage basé sur la
mémorisation et la récitation du Coran. Bien que cette éducation religieuse
soit importante, elle ne permet pas aux enfants d'acquérir toutes les
connaissances et compétences nécessaires pour réussir dans le monde moderne.
Le dialogue avec les maîtres coraniques est donc essentiel
pour les convaincre progressivement des bienfaits de la scolarisation. Celle-ci
n'est pas incompatible avec l'éducation coranique et peut se faire en
complément. Pour y parvenir, les autorités et les associations doivent adopter
une démarche compréhensive, basée sur le respect mutuel et la pédagogie. Des
solutions concrètes peuvent aussi être proposées pour faciliter la
scolarisation des talibés.
L'importance de
comprendre les réticences des maîtres coraniques
Les raisons
historiques et culturelles
L'éducation coranique est ancrée depuis des siècles dans les
traditions ouest-africaines. Elle représente un héritage et des valeurs
auxquels les populations sont très attachées. Pour les maîtres coraniques, il
s'agit aussi d'un moyen de transmettre la religion et les langages, ainsi que
leur statut et leur autorité.
La méfiance envers l'école publique tient aussi à son
histoire. Introduite à l'époque coloniale, elle était perçue comme un
instrument d'acculturation et de domination. Même après les indépendances, le
système scolaire francophone a pu être vu comme une continuation de l'assimilation
culturelle.
La crainte de perdre
son statut et ses revenus
Pour beaucoup de maîtres coraniques, l'éducation publique
représente une menace financière et sociale. La scolarisation des talibés
risque de tarir le vivier des apprentis qui assurent nourriture et revenus aux
marabouts. Elle remet aussi en cause leur autorité intellectuelle et morale.
Certains maîtres coraniques ne disposent par ailleurs
d'aucune autre source de revenus et de statut social. Ils craignent que la
scolarisation ne les marginalise et ne les conduise à la pauvreté.
La suspicion envers
les contenus de l'enseignement public
Malgré les réformes éducatives, une méfiance demeure chez les
maîtres coraniques quant aux contenus de l'enseignement public. Ils craignent
une diffusion de valeurs et d'un mode de vie occidentaux contraires à l'éthique
islamique.
Certains préjugés ont aussi cours sur de prétendus
enseignements de l'athéisme ou de la sexualité jugés immoraux. Les maîtres
coraniques peuvent y voir une menace pour la moralité des enfants.
La sous-estimation de
l'utilité des savoirs scolaires
Pour beaucoup de maîtres coraniques, la mémorisation et la
récitation parfaite du Coran sont les savoirs les plus importants. Ils
sous-estiment l'utilité pratique des matières scolaires comme les
mathématiques, les sciences ou le français pour la vie courante et l'insertion
professionnelle.
Ils considèrent aussi que l'éthique et la discipline
inculquées par l'éducation coraniques traditionnelles sont plus précieuses que
les «futilités» de l'école publique. Convaincre du contraire demande pédagogie
et exemples concrets.
Adopter une démarche
compréhensive et pédagogique
Écouter les arguments
et appréhensions des maîtres coraniques
La première étape est d'instaurer le dialogue avec les
maîtres coraniques, afin de comprendre leurs réticences vis-à-vis de la
scolarisation. Plutôt que de frontalement imposer l'école, il faut les écouter
avec empathie et prendre au sérieux leurs arguments.
Cela suppose des échanges dans la langue des marabouts, à
leur rythme et sur leur terrain. Des médiateurs locaux, parlant arabe et
respectés des maîtres coraniques, ont un rôle clé à jouer.
Rassurer sur le
maintien du rôle des maîtres coraniques
Il faut expliciter que l'éducation coranique garde toute sa
place, en complément de l'école publique. La scolarisation n'est pas une fin en
soi, mais un moyen d'offrir aux enfants une éducation complète, reliée aux réalités
et besoins contemporains.
Les maîtres coraniques doivent être rassurés sur le fait
qu'ils conservent leur fonction éducative, leur autorité spirituelle et leur
lien avec les enfants. L'école publique ne remplace pas l'éducation coranique
mais la complète.
Mettre en avant les
avantages de la scolarisation
Plutôt que d'opposer radicalement école coranique et
publique, il faut insister sur leurs objectifs et apports complémentaires. La
scolarisation permet d'acquérir des compétences indispensables pour réussir sa
vie personnelle et professionnelle.
Des exemples concrets de débouchés offerts par l'instruction
scolaire peuvent convaincre les maîtres coraniques des bénéfices pour leurs
pupilles. La référence à des versets coraniques valorisant la connaissance est
aussi pertinente.
Proposer un dialogue
continu
Il ne s'agit pas d'une discussion unique, mais d'un
processus dans la durée permettant de nouer des relations de confiance. Un
suivi est également nécessaire après la scolarisation effective des enfants
pour répondre aux questions des maîtres coraniques.
Des rencontres régulières, au sein des écoles coraniques,
avec les enseignants et les parents, permettent d'entretenir le dialogue et de
lever les incompréhensions.
Trouver des solutions
concrètes pour faciliter la scolarisation
Associer les maîtres
coraniques
Plutôt que d'agir sans concertation, il est judicieux
d'impliquer les maîtres coraniques dans la réflexion sur les modalités
pratiques de scolarisation de leurs talibés. Ils peuvent ainsi devenir acteurs
du changement.
Par exemple, des cours de rattrapage et de soutien scolaire
peuvent être organisés au sein des daaras, en fin de journée ou le week-end.
Les maîtres coraniques et les talibés plus âgés peuvent y participer.
Aménager des emplois
du temps compatibles
Pour être acceptée, la scolarisation doit permettre la
poursuite de l'éducation coranique. Des aménagements d'emploi du temps sont
possibles, avec des matinées à l'école publique et des après-midis dédiés à
l'apprentissage du Coran.
Une alternance sur la semaine peut aussi être instaurée,
ainsi que la prise en compte dans les absences des fêtes et cérémonies
religieuses importantes pour les talibés.
Soutenir
matériellement les daaras
La fourniture de matériel scolaire, l'amélioration des
locaux ou l'aide alimentaire aux daaras les plus démunis rendent la
scolarisation plus acceptable. Elle ne doit pas créer une charge financière
supplémentaire ni affaiblir les écoles coraniques.
Des infrastructures comme l'eau, l'électricité ou
l'assainissement doivent être développées pour offrir aux talibés des
conditions d'étude décentes.
Valoriser le statut
des maîtres coraniques
Des actions de formation continue à destination des maîtres
coraniques permettent de revaloriser leur rôle tout en les familiarisant avec
les fondamentaux du programme scolaire.
La création de fédérations représentatives des maîtres
coraniques est aussi un moyen de valoriser leur statut et de favoriser leur
adhésion aux réformes du système éducatif.
Soutenir les maîtres
coraniques en difficulté
Pour certains maîtres coraniques démunis, des solutions
complémentaires doivent accompagner la scolarisation afin de compenser la diminution
du nombre de talibés.
Par exemple, des activités génératrices de revenus peuvent être développées. L'appui à la reconversion professionnelle est également envisageable pour les maîtres coraniques sans autres ressources.
Conclusion
La scolarisation des talibés est un enjeu capital pour
l'avenir des enfants et des pays concernés. Elle doit se faire dans le respect
des maîtres coraniques en trouvant des complémentarités entre éducation
islamique traditionnelle et instruction publique. Grâce à l'écoute, la
pédagogie et des solutions concrètes, le dialogue avec les maîtres coraniques
peut permettre d'avancer vers une scolarisation généralisée, facteur de
développement et de progrès. Les mentalités évoluent mais un engagement patient
et volontariste est nécessaire sur le long terme.
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